Marie-Alice SIMULIN
62 ans, éducatrice spécialisée, coordinatrice de structure,
Infarctus du myocarde
Cela faisait 2 ans que j'étais fatiguée que je ressentais quelque chose d'indescriptible en moi, une gêne dans mon corps, je dormais beaucoup en journée et mal la nuit.
Je sortais d'une dépression professionnelle où on m'avait mis sur un poste de cadre sans m'annoncer aux équipes et l'une des salariés n'a pas supporté que je sois mise à ce poste,
Parallèlement à cela, j'étais ménopausée car mon gynécologue m'a enlevé l'utérus à 49 ans car je faisais des hémorragies dues à une endométriose entre autre ; j'étais donc très anémiée mais pas prise au sérieux ; ce burn out faisant de moi une “personne fragile qui travaille du chapeau » comme me disait ma généraliste.
J'ai donc pensé que j'avais comme ma copine Évelyne, un début de cancer du sein, puisque j'avais mal au thorax, dans le bras, mais non, la mammographie ne montrait pas cela.
Je suis allée faire une radio pulmonaire car j'avais une petite toux résiduelle permanente : résultat négatif aussi. J'ai appris bien plus tard que c’était de l’angor cardiaque.
J'ai commencé à penser ce que le corps médical pensait (que j'étais “psy”) et puis j'ai quand même pris RDV chez le cardiologue, je venais d'avoir 60 ans, un an d'attente mais rien ne paraissait urgent puisque tout allait bien.
Le moment de la visite arrive avec ce cardiologue que je connaissais un peu puisqu'il suivait un de mes résidents handicapés. Je suis éducatrice spécialisée, coordinatrice de structure à l'ADAPEI 37.
Je lui décris donc ma douleur, plutôt ma gêne thoracique, mes suées permanentes dès que je fais un effort. J'avais monté la tranchée une semaine auparavant je suis arrivée essoufflée et trempée de sueur ; Il me fait un électrocardiogramme, me prend ma tension et me dit tout va bien : très bon état général, c'est ce qu'il écrit sur mon compte rendu.
Fin du mois de mars (2020) je vous poserai un Holter mais il n'y a aucune urgence me dit-il.
Je repars en me disant qu'une fois de plus, le médecin ne prenait pas en considération
«mon mal».
Une semaine pile après cette visite, j'allais me rendre au travail et juste avant j'avais pris RDV chez mon esthéticienne pour une épilation de demi jambe: je descends l'escalier et là je ressens une douleur thoracique assez forte qui me stoppe, je prends ma voiture et je me rends à st Cyr dans mon institut.
Je connais bien la patronne esthéticienne et l'employée qui travaillent dans l'institut. Je m'allonge avec le masque (c'était de rigueur à l’époque) et Ludivine commence l'épilation de la jambe droite.
Je commence à étouffer et je lui explique ma douleur thoracique d'une heure avant. J'avais l'impression d'être écartelée au niveau des omoplates et elle me dit :
Mme Simulin, je vous connais depuis longtemps j'appelle les urgences, vous n’êtes pas du genre à vous plaindre, vous n’êtes pas bien. Je me souviens lui avoir dit que j'avais vu un cardiologue qui m'a dit que j'allais bien.
Elle appelle donc les urgences, je suis allongée sur la table à épiler, mal ...La dame au téléphone des urgences souhaite me parler, je ne le peux pas car je suis essoufflée et j'ai très mal au dos, j'ai des nausées aussi. Je dis à Ludivine que je fais une embolie pulmonaire. La dame raccroche car je ne peux parler et Ludivine se dit que c'est inadmissible ce qui se passe,
J'aurai pu, à ce moment mourir 10 fois ...mais je résiste, la dame rappelle et lui demande de me passer le téléphone, Ludivine lui redit que je ne peux pas, qu'il faut un médecin, qu'elle me connaît et qu'elle sait que je ne fais pas de la comédie. Nous avons arrêté l'épilation (une jambe épilée pas la 2e) et j'ai réussi à aller sur une chaise face à la porte de l'institut ; Le médecin du “15” fini par dire qu'il envoie une ambulance, il me dit de ne pas bouger et plus de 45 mn après elle arrive enfin.
Deux jeunes étaient dans une ambulance et me demande de monter dedans, je leur explique que je ne peux pas et là ils me disent mais si montez-vous n'avez rien, c'est juste que vous êtes énervée ; Je leur explique que non je ne suis pas énervée et là je sens que j'ai quelque chose de grave. J’appelle mon employeur et lui dit que je file aux urgences et ma fille, mon mari étant en classe ; Ma cheffe de service m'a dit après qu'elle n'avait aucun doute sur ce qui m'arrivait.
J'arrive aux urgences et là j’entends, “mettez là quand même en cardio”, j'arrive en cardio et c'est le même cardiologue qui m'avait vu une semaine auparavant qui était de garde. Il me dit Mme Simulin qu'est-ce que vous faites là ? je lui réponds, “ben ça ne va pas fort”. Il me dit mais vous savez je vous mets un Holter à la fin du mois. Là je pense que j'ai dérangé tout le monde pour rien. Il m'envoie une infirmière me faire une prise de sang et un électro, et plus de nouvelle de personne pendant 3 h. Pendant ce temps j'échange avec ma fille qui elle me dit “ne parle pas reste tranquille”, une copine.
A 16h45, j'entends du bout du couloir, “Mme Simulin au bloc tout de suite elle fait un infarctus” et là mon cœur que j'avais réussi à calmer car j'avais appris la cohérence cardiaque, s'est mis à battre à 180. Le cardiologue et toutes les infirmières enlèvent mes vêtements pour passer une blouse et j'arrive au bloc. A ce moment, je n'ai pas conscience de la gravité de mon état. Le chirurgien devait partir et du coup a rouvert le bloc ; il est de très mauvaise humeur, je vois des écrans gigantesques, l'anesthésiste arrive et me met un masque juste pour me calmer.
Il m’explique qu'il va devoir intervenir très vite et me pose des questions en même temps. Je n'ai pas peur, je lui réponds que j'ai fumé mais que j'ai arrêté il y a 30 ans pour la naissance de ma fille, que j'ai fait un burn out… il me répond : “mais vous avez vu un
cardiologue, il y a une semaine, il vous a dit quoi ?” : “ben… que j'allais très bien”, lui renchérit: “ah bon!” Et là je pense : ben lui il me croit maintenant…
Une heure après, il me dit “je vous ai sauvé la vie”, il me montre les 2 stents et la photo de mes artères rétrécies avant la mise des stents.
Je monte en soins intensifs et je me rends compte que ma famille (enfants et mari) arrive. Ils n’ont normalement pas le droit de rentrer mais ils font une exception, et ils rentrent un par un. Mon fils d'abord à qui je dis tout de suite “Paul il faudra un suivi pour toi maintenant tu es à risque”;
Ma fille à qui je dis la même chose puis mon mari, qui est en surcharge pondérale.
Je trouve que la situation n'est pas juste, pourquoi moi et pas lui, j'ai pu m'en excuser après,
Le cardiologue qui ne m'a pas détecté s'assoit au bout de mon lit et me dit, “je n'ai pas vu ce qui vous arrivait”. Je lui réponds “ce n’est pas faute de vous l'avoir dit”,
Le lendemain, j'apprends par les échographies multiples...que le caillot n'est pas totalement parti et que mon cœur ne fonctionne pas normalement, une partie est morte ou endormie et là c'est le coup de massue ; j'ai la colère qui monte car on aurait dû me prendre en charge plus tôt.
Je vais faire un scanner en urgence, il confirme qu'il y a encore un caillot, il me donne des anticoagulants très forts en plus des médicaments.
Je commence à comprendre que ma vie va changer, je prends beaucoup de médicaments, 10 par jour alors que je prenais juste des antihistaminiques pour les allergies.
Je vois une diététicienne qui me dit que je vais devoir revoir une alimentation sans graisse…Le cardiologue veut m'envoyer à Bois Gibert, je pense qu'il culpabilise un peu de ne pas avoir vu .
Moi, je ressens une injustice, je n'avais pas de diabète, pas de cholestérol, pas de surcharge pondérale…Je rentre chez moi au bout de 5 jours avec mon traitement et j'attends que Bois Gibert m'appelle,
Je n'ose plus bouger de chez moi, je n'ai pas le droit de conduire pendant un mois pour le moment.
Je réalise que je prends des médicaments qui peuvent avoir de gros effets secondaires. J'ai peur que ça recommence,
Je n'ose plus manger, j'ai peur de me reboucher, je perds du poids. Comme je suis allée en Martinique juste avant l’infarctus, je ne peux pas rentrer à Bois Gibert sans des examens complémentaires.
Je commence à marcher un peu autour de chez moi, je me dis qu'il faut que mon cœur fonctionne ; ma famille est inquiète dès que je ne suis pas rentrée à l'heure ; ça commence à m'étouffer et je veux partir en rééducation.
Ce jour-là arrive, on nous met une télémétrie pendant 2 jours et pendant ce temps, nous ne pouvons pas sortir dans le parc, juste autour de la fontaine ; alors avec mes nouveaux copains cardiaques, je fais des tours de fontaine.
Arrive le test d'effort tant attendu, et le début de la réadaptation, vélo, rameur... J'ai enfin pu commencer le sport, en me disant : “il faut que mon cœur fonctionne”. Quelques jours après, je vois la cardiologue qui me dit “je crois que votre cœur reprend bien”.
Je demande des séances de sport, natation... et je donne tout ce que je peux ; lorsque je ne fais pas de sport je vais marcher dans le parc ; je fais des cours d’alimentation. Et là je
commence à avoir des discours du style, ce n’est pas grave mon père, ma mère, a eu çà...c'est super tu aurais pu avoir un AVC c'est moins grave;
On a pu avoir des cours sur notre traitement, les risques hémorragiques d'être sous médicament anticoagulant…. D'ailleurs je suis tombée dans ma baignoire et j'ai eu un hématome sur tout le corps qui a mis des mois à disparaître, mon détartrage dentaire m'a fait perdre du sang pendant 2 h.
Pour le moment, pas question de faire partie d’association, je m'inscris dans une salle de sport santé et je commence la musculation, le cardio…et là je sens que le bien être commence à arriver, qu'on peut vivre avec cela. Au début, je ne dose pas le sport que je fais, ce qui fait que j'ai des blessures, tendinite pendant un an ….
Parallèlement, je change de généraliste, de cardiologue. Du coup, je me dis que ce cardio me correspond plus, on parle, il me rassure.
Au début, j'ai essayé de rallier les gens, mes amis ….à ma cause, faire attention à ce qu'on mange, on doit moins boire etc… et je me suis rapidement aperçue que ce n'était pas jouable, que les gens pensaient que cela m'arrivait à moi parce que c'était moi.
La maladie cardio vasculaire dérange car elle remet en question les habitudes des gens (les apéros, les repas)
Sur le plan professionnel : j'ai pu reprendre 5 mois plus tard à mi-temps thérapeutique, puis je suis en train de terminer en retraite progressive, j'ai pris conscience qu'il fallait me préserver et mon collègue qui n'avait pas conscience de la situation a d'autant compris quand il a fait un infarctus rénal à 40 ans il y a quelques mois. Lorsque je suis revenue au travail, 5 mois après j'étais toujours sous anticoagulant, et comme il peut y avoir de la violence, j'étais inquiète.
Je ne suis plus en colère contre le cardiologue qui n’a pas pris en compte mes symptômes mais je parle de lui.
Cet été je suis allée en montagne, c'était la 1ere fois que je retournais faire de la randonnée ; les guides m'ont dit que j'avais de l'endurance ; j'étais fière de voir que mes séances de sport portaient leur fruit.
Je projette de faire les 10 km en marche nordique en septembre prochain, dans le cadre des 10-20-marathon de Tours.
Je vais partir en avril 2025 au Sri Lanka dans le cadre du CSE avec le travail.
Je dois faire traduire mon dossier en Anglais et cela m'angoisse un peu car je ne trouve pas d'organisme pour le faire…
Je suis toujours un peu inquiète lorsque je suis au volant mais moins qu'avant (j'ai bénéficié d’une désensibilisation EMDR) car je ne suis plus sous anticoagulant, je ne risque plus “de me vider”.
J'ai rencontré l'association La Riche du Cœur il y a un peu plus d'un an. J’ai eu envie de partager avec des personnes qui sont sensibilisées sur le problème et de les aider à mettre en place des manifestations auxquelles mon nouveau cardio va participer.
Aujourd'hui je vais bien, je suis “malade chronique invisible”.
Je n'ai pas de devise mais quoi qu'on fasse, il faut prendre soin de soi et s'écouter lorsqu'on ne va pas bien.
Je me rends compte que la maladie m'a sauvé la vie en me maîtrisant et en me faisant ralentir.